Oukout, un peuplement par vagues migratoires
Le peuplement de l’Afrique de l’ouest est un long processus de plusieurs vagues migratoires. Des mouvements migratoires qui remontent depuis la Moyenne vallée du Nil. C’est dans ce contexte de déplacements des populations que le Sénégal, finistère ouest-africain, s’est enrichi de toutes les migrations suscitées du Haut-Niger à l’Atlantique et de l’Adrar au Fouta-Djalon, par la longue itinérance des peuples noirs. En effet, selon les récentes recherches anthropologiques, sociologiques et ethnographiques, le peuplement de la Basse Casamance s’est fait à partir des « Rivières du Sud ». C’est à partir de cette région où ont pris départ d’autres mouvements de populations sans doute pour des raisons sécuritaires, économiques ou sociales. Sur ce, deux hypothèses sont émises sur l’origine des sociétés dites « flup ». Rebondissant sur cette problématique, la chercheuse Odile Journet-Diallo, reprenant les hypothèses de certains spécialistes de la région, affirme ce qui suit :
Il ressort de cette longue citation que l’origine des populations qui occupent la Basse Casamance, faute de documents solides et crédibles, résulte de deux hypothèses. Mais tout laisse à croire que elles proviennent du sud car les populations appelées Flup se rattachent à l’ensemble des populations de riziculteurs de mangrove qui peuplent le littoral de la Gambie à la Sierra Leone : Balant, Baga, Manjak, Nalu, Pepel. Comme la plupart de ces derniers, leur langue relève du groupe bak (branche « nord » du groupe ouest-atlantique). Dans le même sillage, Odile Journet-Diallo écrit : Pour de nombreux informateurs et observateurs, la région située entre la rive sud de la Casamance et le rio Cacheu constituerait le berceau d’origine de la plupart des groupes jóola qui essaimèrent sur la rive nord. Au regard des travaux scientifiques, nous sommes en face d’un peuplement ancien qui a d’abord concerné le littoral des nombreux bolongs marécageux de la région dite les « Rivières du Sud » dans laquelle la Casamance est incluse.
Ainsi, si ces travaux scientifiques ont permis de situer l’origine des populations Flup, il reste cependant difficile d’obtenir une date de l’implantation de desdites populations. Les sources orales sont muettes sur la question. Jusque-là, les sources écrites, les fouilles archéologiques ainsi que les travaux anthropologiques, ethnographiques et socio-linguistiques n’ont pas encore apportés des éléments de réponses fiables. Ce qui constitue un blocage pour toute recherche profonde sur la période de l’implantation des populations Joola dans la contrée.
Au demeurant, étudier l’histoire du peuplement du village d’Oukout revient à l’analyser sous un angle plus large. En effet, le village se trouve dans le royaume d’Oussouye appelé Búbajum Áyi. Un village autour duquel s’articule toute l’organisation sociale et religieuse dudit royaume. Selon mes enquêtes d’avril 2019, l’histoire du peuplement d’Oukout ne diffère en rien de celle de la plupart des autres villages de la zone. La recherche de terres arables, de bonnes rizières, les conflits inter-communautaires, les fuites des fétiches constituent les principales motivations des déplacements de populations. C’est ce qui ressort de mes résultats de recherche sur le peuplement du village.
Ainsi, à la question qui est le premier habitant du village, il est préférable de dire quelle est la première famille à s’implanter dans le village. Voici le questionnement voulu par les personnes interrogées. A Oukout, la problématique de l’autochtonité est foncièrement liée au foncier, à l’occupation des hautes fonctions religieuses et coutumières. Et cela rend le travail du chercheur difficile car il arrive fréquemment de voir des familles se disputer sur l’authenticité de leur présence sur le village. C’est le cas à Oukout entre les familles de Kalémouna et de Sanfoly. Les témoignages accueillis de part et d’autre s’affrontent et parfois se croisent sur la première famille à s’implanter sur le site villageois. Si mon interlocuteur de Sanfoly désigne l’ancien gros village de Koundiaye comme le lieu de leur origine, il en est autrement pour les témoignages reçus à Kalémouna. Ces derniers déclarent ignorer leur terre d’origine. L’on retient que leurs récits ainsi que d’autres témoignages s’accordent sur l’autochtonité de ces deux familles des Mouna et des Manga. Par la suite, d’autres familles sont venues s’y greffer pour les raisons citées plus haut. Il s’agit de Hougom, Djindiyök, Ahèye, Eloukassine, Kassine, Kalahette, Houdioye (quartier de Madiop), Bahounouk, Kakounoum, Koufafa, Kalaf, (quartier d’Eteilo).
Dans tous les cas, nous retenons de cette recherche que le village d’Oukout a connu un peuplement progressif. Des familles implantées dans le pays « Felup » se sont regroupés par vagues successives pour créer une société-villageoise fondée sur les génies tutélaires du royaume Búbajum Áyi. A l’image des autres villages du royaume, Oukout est un produit d’une forte migration à des dates bien différentes. La cohésion sociale et communautaire s’est consolidée au gré des événements heureux et malheureux.
Marc Noël DIATTA
Professeur d’Histoire et de Géographie
Lycée Djignabo BASSENE, Ziguinchor
Vacataire au département d’Histoire à l’Université Assane Seck, Ziguinchor
1 - PELISSIER P. Les paysans du Sénégal : Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, Paris, Imprimerie Fabrègue Saint-Yrieix (Haute-Vienne), 1966, p.7.
2 - Le terme « Rivières du Sud » est apparu au XIXe siècle sous la plume des administrateurs français pour désigner les comptoirs dépendant administrativement de Gorée, de la côte sénégambienne à la Mellacorée (Sierra Leone).
3 - JOURNET-DIALLO O., À propos des modes de construction du territoire en pays jóola : sources écrites, traditions villageoises et matériaux ethnographiques, https://journals.openedition.org, le 22 Avril 2024 à 22H 31mn.
4 - Idem, p. 3.
5 - Ibidem, p. 4.